justice ou injustice ?


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Pour ne pas en rester là…

Dès l'annonce du suicide de Pierre Chanal le 15 octobre 2003, le Ministre de la Justice avait lancé deux enquêtes administratives pour déterminer dans quelles conditions Pierre Chanal avait pu mettre fin à ces jours. Dominique Perben avait ensuite annoncé le 17 octobre 2003 que « la lame que Pierre Chanal a utilisée pour se suicider ne provenait pas du paquetage qui venait de la prison de Fresnes ». Les déclarations des différents responsables donnent clairement l’impression que chacun cherche à se dédouaner et à botter en touche. On continuait de noyer le poisson…

Le jeudi 4 novembre 2003, on avait appris que Pierre Chanal avait probablement caché les lames de rasoirs, obtenues à Fresnes, sous le pansement de sa perfusion.

Ce dernier "rebondissement", après l'hypothèse de l'étiquette du pantalon puis de l'appareil dentaire, était un peu à l'image de l'ensemble de la procédure :
- beaucoup d'agitation,
- peu de résultats,
- rien d'utile pour les victimes...

Même s'il était indispendable de déterminer comment Pierre Chanal a pu se procurer ces lames de rasoir, cette démarche seule avait une portée très insuffisante.

Au-delà de cette enquête sur le dernier rebondissement de cette affaire qui dure pour certaines des victimes depuis plus de 20 ans, une décision courageuse serait de lancer une enquête beaucoup plus large sur l’ensemble de la procédure, sa longueur excessive et ses errances, les fautes professionnelles de magistrats et le mépris des victimes affiché par l’institution judiciaire.

La frère de Patrice DENIS a écrit le 16 octobre 2003 à monsieur Dominique Perben pour réclamer cette enquête complète. A la suite de cette lettre, il avait été reçu mardi 4 novembre 2003 par monsieur Jean-Claude Müller, conseiller pour les affaires pénales. Aucune suite n'a été donnée à cette requête : Deux ans après, aucune décision n’a été annoncée par le ministère de la justice. Le mépris continue...


Pascal Clément a été nommé ministre de la justice en 2005. Les familles des disparus de Mourmelon lui ont aussitôt écrit pour renouveler leur demande. Un premier entretien a eu lieu en septembre 2005 avec son conseiller Patrick Camberou. Aucune réponse n'a été donnée à ce jour. Un nouvel entretien est programmé au ministère de la justice le 9 décembre 2005 avec les représentants de l'association "Victimes en série (VIES)".

Quelles sont les motivations pour lancer une telle procédure ?

Ne faut-il pas s’en tenir là, faire son deuil et clore définitivement cette triste affaire ? Il ne faut pas, pour au moins deux raisons :

La première raison concerne directement les familles des victimes : l’enquête montrerait certainement que cette procédure judiciaire est l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Elle pourrait peut-être même montrer que certaines disparitions auraient été évitées si les premières plaintes avaient été prises au sérieux.

La Gendarmerie et la Justice se sont limitées à l’explication de désertion pour les appelés du contingent. Dans le cas de Patrice DENIS, civil, il a fallu plusieurs mois pour que ses parents obtiennent l’ouverture d’une information judiciaire : les autorités parlaient de fugue, contre toute évidence.

Maître Gérard CHEMLA et Vincent DURTETTE, avocats de la plupart des familles de disparus, ont déclaré: « La justice a été dans cette affaire aussi mauvaise qu'elle a pu être bonne. Il y a eu de très mauvais juges d'instruction, qui n'ont rien fait ou mal fait leur travail, et il y en a eu de bons qui ont fait ce qu'ils ont pu ».

Cette formulation est politiquement correcte mais, comme le prouve ce site internet qui s’appuie sur l’ensemble du dossier et l’historique de l’enquête, force est de constater qu’il y a beaucoup plus de mauvais que de bon.

Ainsi, il faut demander des comptes, avec au moins trois motifs sérieux qui justifient une enquête :

  1. Le délai excessif pour reconnaître une origine criminelle aux disparitions. L'armée, en cherchant à protéger son image, a joué ici un rôle aggravant considérable. A aucun moment elle n’a pris au sérieux les disparitions, ni déconseillé aux jeunes de faire du stop.

  2. Il a fallu une énergie colossale des parents de Patrice Denis pour obtenir l’ouverture d’une procédure judiciaire. S’ils n’avaient été épaulés par les démarches de l’ANSTJ et du CNES, qui ont utilisé tous les relais et les moyens d’intervention à leur disposition, cette procédure n’aurait peut-être jamais abouti. Est-ce que cela veut dire que la justice ne fonctionne pas avec le même empressement selon les catégories socioprofessionnelles et les relations ?

  3. L'insuffisance de moyens ou surtout l'absence de continuité des moyens pour mener l'instruction (un nombre effarant juges et des procédures disjointes!).

  4. Les négligences et les fautes des magistrats en charge du dossier (pertes de scellés, libération de Chanal et restitution de biens pouvant constituer des éléments à charge). Dans ce domaine, la situation particulière de l'affaire O'Keefe instruite dans un premier temps à Amiens est édifiante. Dans son ordonnance de renvoi, le juge Chapard mentionne explicitement le "sommeil" du juge d'Amiens... Le juge Marien, en charge de l’affaire O’Keefe avant la jonction des dossiers, a finalement pu échapper à venir s’expliquer à la barre (il avait même chercher à se faire excuser pour le procès !).

A titre d’illustration, on peut mentionner au moins quatre documents officiels qui illustrent ce parcours du combattant :

  • Après les 3000 francs exigés pour accepter la plainte des parents de Patrice Denis, la demande d'un complément de consignation (mars 1988) pour "faire face au frais nécessités pour poursuivre l'information".
    Voir l'ordonnance du juge Mescart : (JPEG 96Ko) .

  • Un courrier de monsieur et madame Denis qui remercient le procureur « parce que l'enquête n'est pas arrêtée »! (juin 1988).

  • un courrier des avocats qui s'étonnent que, dans ses conclusions pour la commission d'indemnisation des victimes, le procureur affirme que le caractère criminel des disparitions n'est pas prouvé (novembre 1995, plus de quinze années après les premières disparitions et alors que Pierre Chanal est désigné comme le principal suspect).

  • deux arrêts de la chambre d'accusation de Reims, en juillet 1994 et août 1994, à quinze jours d'intervalle, contradictoires (maintien en détention puis libération de Pierre Chanal) avec des attendus étonnants :
    Lire un extrait des attendus de juillet 1994 : (GIF 55Ko) et des attendus d'août 1994 : (GIF 39Ko)

  • etc., etc.

Le 26 janvier 2005, l'Etat français a été condamné pour faute lourde avec des attendus très sévères.

La justice peut-elle être indépendante si elle est médiocre ?

La seconde raison a une autre portée : elle concerne la nécessité, pour qu’une institution fonctionne bien et s’améliore continuellement, qu’elle accepte de se faire évaluer. Dans le cas de la Justice, l’évaluation est faite par les pairs. Le risque est alors que l’institution n’ose pas procéder à une évaluation honnête pour protéger sa propre image. Au mois de mai 2003, le procureur Chaux a justifié à Reims le report du procès pour « protéger l’image de la justice ». Etait-ce un argument que pouvaient entendre les parties civiles ?

Est-ce que la Justice peut rester indépendante si un tel naufrage judiciaire ne fait pas au moins l’objet d’une évaluation complète et publique, d’une identification des responsabilités et n’entraîne aucune sanction ?

Etre indépendant veut dire également assumer ses responsabilités et rendre des comptes. D’autres exemples récents, comme l’affaire Allègre à Toulouse, montrent qu’il faut ouvrir ce débat. Une belle démonstration d’indépendance serait que l’institution judiciaire lance elle-même ce chantier.

Il n’est pas acceptable que l’on puisse refermer ce dossier des disparus de Mourmelon et le classer définitivement en le passant par pertes et profits. Il faut que l’institution judiciaire ait le courage de se pencher sur son propre fonctionnement, pour éviter que ce genre de situation puisse se reproduire.

Il n’est pas acceptable que l’on puisse refermer ce dossier des disparus de Mourmelon et le classer définitivement en le passant par pertes et profits.

Pour mémoire, en 1995, le Président de la République avait été sollicité pour qu’il consulte le Conseil Supérieur de la Magistrature sur le déroulement de l’instruction depuis 1985. A l’époque, le Président de la République avait refusé de donner suite à cette demande, au motif que cette instance ne pouvait être saisie que pour les questions d’indépendance de la Justice.

Il faut que l’institution judiciaire ait le courage de se pencher sur son propre fonctionnement, pour éviter que ce genre de situation puisse se reproduire.

Le cas échéant, une mission d’enquête parlementaire pourrait être mise en place : il y a réellement matière à lancer une enquête parlementaire sur le sujet, et les problèmes soulevés dépassent largement le cas particulier de l’affaire des disparus de Mourmelon.


Sondage paru dans le Figaro Magazine du 9/11/2004

Outreau, Mourmelon, des drames différents qui posent la même question : la responsabilité des magistrats et de l'institution judiciaire.

La catastrophe judiciaire d'Outreau, après le jugement procès en appel de décembre 2005, dans des circonstances très différentes de celles de l'affaire des disparus de Mourmelon (dramatique erreur judiciaire dans un cas, déni de justice dans l'autre) pose à nouveau le problème de la responsabilité des magistrats et de la qualité du service de la justice dans les dossiers les plus difficiles.

Les fautes commises dans l’instruction de l’affaire des disparus de Mourmelon posent bien le problème de l’indépendance de la Justice si elle ne sait pas mettre en place les garde-fous efficaces pour que ce type d’échec ne se reproduise pas.

Comment pourrait-on sérieusement continuer à avoir confiance dans la Justice de son pays si on en restait là ?

En savoir plus : Réformer la justice française après les drames d'Outreau, de Mourmelon, de l'Yonne]

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www.disparusdemourmelon.org