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Le procès inachevé : une unique journée de débats
Après l’expérience douloureuse de deux reports au mois de mai, la simple ouverture du procès le mardi 14 octobre 2003, même si Pierre Chanal refusait
d’y assister, représentait pour les parties civiles un aboutissement et un soulagement. Ce sentiment était partagé par toutes les familles, celles qui
étaient toujours parties civiles ou celles ayant subi un non-lieu.
Les portes du palais de justice se sont ouvertes vers 9h00 mais l’attente n’était pas terminée, avec les derniers examens médicaux de l’accusé et
l’incertitude sur sa participation au procès.
Dans ces moments d’attente, certains «détails» prennent une importance extraordinaire et mobilisent l’attention : faire la queue avec l’armée des
journalistes et supporter leurs bousculades avant de pouvoir pénétrer dans la salle des débats, constater qu’il n’y a pas assez de place pour
toutes les parties civiles et que la famille de Patrick Gache,
partie civile, avait été reléguée au fond du tribunal, etc.
Accessoirement, cette unique demi-journée de procès a été l’occasion de noter à nouveau quelques éléments sur la manière de travail approximative
et la rigueur relative de la justice, qui, par exemple, permet aux témoins, rassemblés dans la salle d’attente, de se consulter avant leur audition
ou encore en appelle à la barre des témoins ou des experts décédés !
Un seul point vraiment réconfortant : la sollicitude de l’équipe de l’association d’aide aux victimes animée par Monsieur Joël Tintilier. Pendant
tout notre court séjour à Reims, ils ont cherché à simplifier la vie des familles des victimes et à aider à mieux faire passer ces moments difficiles :
le café était tiède et pas très bon mais ce café était un grand réconfort !
Prévue à 9 heures, la première audience n’a commencé qu’à 10h20, parce que la procédure imposait qu’un huissier se rende auprès de l’accusé pour l
e sommer d’assister à son procès. Une fois le refus de Pierre Chanal de comparaître constaté, le greffier a procédé à la lecture des derniers rapports
des médecins.
Il paraissait clair qu’à l’exception d’un avertissement sur les risques d’une station assise prolongée liés à son état de santé, ces rapports montraient
clairement que Pierre Chanal était parfaitement lucide et capable de suivre les débats, refusait volontairement de comparaître et s’opposerait par
tous les moyens à une action d’extraction.
Après les interventions des avocats des parties civiles et ceux de la défense, l’avocat général a pris la parole : le ton et les arguments étaient
très différents de ceux du mois de mai 2003. Ce changement de ton était surprenant : il n’était plus question de protéger l’image de la justice. Monsieur
Chaux rappelait au contraire que «Pierre Chanal
a délibérément et consciemment décidé de ne pas venir s’expliquer», «il agit en pleine
connaissance de cause»,
«Aujourd’hui, la justice doit passer», «Je pense aux victimes, il faut un épilogue judiciaire», «Pierre Chanal veut être le maître mais
c’est lui qui doit se plier à la Cour» .
Le seul vrai risque était le cas où l’accusé serait inconscient, mais ce n’était pas le cas, comme l’attestaient les derniers rapports des médecins.
Ainsi, après l’intervention de l’avocat général, la suite paraissait désormais évidente : le procès allait démarrer… Cette impression a été
confirmée par la Présidente de la Cour d’Assises après une courte délibération.
Cette annonce était alors suivie par un moment très formel : la désignation des jurés et l’appel des témoins. Ce formalisme montrait surtout que
le procès allait vraiment commencer. A 12h30, le greffier commençait la lecture de l’arrêt de mise en accusation…
Une demi-journée pour connaître la personnalité de Pierre Chanal
L’après-midi du 14 octobre, on a commencé à aborder la personnalité de l’accusé, avec l’audition de Madame Simone Chanal,
la sœur aînée de Pierre Chanal
(elle est née un an plus tôt).
La vie n’a pas du être facile pour elle depuis l’arrestation de son frère, l’intérêt des journalistes et surtout sa sortie de prison : elle a du subir une
pression des médias. Dans la salle d'audience, en attendant de comparaître, elle porte un foulard qui masque son visage.
Elle doit réellement penser que son frère est innocent, qu’il est harcelé par les médias et les parties civiles. Une autre hypothèse serait impossible à supporter
pour elle…
Même si elle le défend et affirme son innocence, il est très surprenant d’entendre qu’elle ne sait rien de sa vie personnelle, rien de sa vie affective :
« Il est heureux, on le laisse tranquille » affirme-t-elle. En pratique, on apprend même, à l’occasion de cette audition, qu’elle n’a eu aucune nouvelle
de Pierre Chanal entre 1977 et 1988, année de son arrestation. Comment peut-elle alors affirmer que « la condamnation pour
l’enlèvement de Palays Falvays était trop chère payée »
en prétendant que le jeune auto stoppeur hongrois était consentant ?
On ne peut s’empêcher de penser que, finalement, personne ne connaît Pierre Chanal, pas même les membres de sa famille la plus proche.
Cette impression est renforcée par les autres témoignages entendus au cours de cette demi-journée, qu’il s’agisse des militaires l’ayant connu à Valdahon,
à Mourmelon ou à Fontainebleau ou des responsables ou des membres du club de parachutisme.
Les dix témoins, y compris celui qui se dit ami de l’accusé, s’accordent pour dire que Pierre Chanal n’avait pas de relations personnelles ou intimes.
Il ne sortait pas, participait rarement, voire jamais aux activités extra-professionnelles et refusait presque toujours les propositions de sorties. Cela
atteignait un tel point, que Pierre Chanal n’est pas resté au pot organisé pour fêter la remise de sa médaille militaire.
Le week-end, il semble qu’il quittait rarement le camp militaire. En fait, pour les témoins, Pierre Chanal passait apparemment sa vie entre l’escadron, sa
chambre de sous-officier, le club de parachutisme et … sa voiture.
Il ne se confiait pas (de ce point de vue, le fameux témoignage de Corinne Seich est pour le moins sujet à caution !) et n’aimait pas qu’on lui pose des
questions personnelles. En 1968, pour couper court à une discussion sur sa famille, il a même dit : « Je n’avais que ma mère et
elle est morte »
(La mère de Pierre Chanal était toujours vivante).
Un de ses supérieurs à Valdahon regrette de n’avoir jamais pu percer le mur de la vie privée et affirme « avoir senti une blessure
cachée ».
Avait-il mis le doigt sur la double personnalité de Pierre Chanal sur laquelle insistent tous les experts ?
On note aussi que tout le monde confirme que l’accusé était quelqu’un de rigoureux, prévoyant et méticuleux, maniaque de l’ordre et de la propreté.
En tout cas incapable, selon les témoins, de récupérer et installer dans son véhicule un matelas en mousse dans une décharge publique. C’est pourtant
ce que Pierre Chanal a avancé comme explication quand ont été connus les résultats d’expertise sur les cheveux et les poils…
On n’en saura pas plus. Après de longues auditions, la première journée du procès se termine vers 21h00. Au cours de la nuit, on apprend le suicide de
Pierre Chanal.
Le lendemain matin, le 15 octobre 2003, vers 9h40, l’avocat général demande l’extinction de l’action publique (l’expression laisse penser que l’action
de la justice a pu être lumineuse ou éclairée dans l’affaire des disparus de Mourmelon !)
Les débats n’auront finalement duré qu’une seule journée : l’administration judiciaire n’a même pas été capable d’assurer la sécurité d’un individu
pourtant particulièrement signalé et qui avait écrit à la Présidente de la Cour d’Assises pour confirmer qu’il tenterait coûte que coûte de mettre fin à ses jours.
Ce suicide montre l’inefficacité des mesures de protection et de surveillance mises en place et les erreurs dans leur application.
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