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« Droits des victimes : compassion ou mépris ? »

 
 

15 octobre 2003 : Pierre Chanal se suicide à la fin de la première journée de son procès. Pour la justice, c’est la fin de l’affaire des disparus de Mourmelon. Pour les victimes, c’est le cauchemar, commencé il y a vingt-cinq ans, qui continue : en octobre 2004, le Ministre de la justice refuse toujours, alors que cela relève de ses prérogatives de lancer une enquête sur le déroulement de l’ensemble de la procédure.

3 novembre 2004 : près de trente ans après les faits, commence dans le procès de l'affaire dite des disparues de l'Yonne. Il ne peut avoir lieu que grâce à la ténacité des familles des victimes et d'une association d'aide aux victimes.Les jeunes victimes supposées d'Emile Louis n'ont longtemps intéressé personne.

Nicole Guedj, secrétaire d'état aux droits des victimes, a publié le 29 septembre 2004 dans le journal Le Monde un point de vue intitulé « Non, je se suis pas inutile! » Elle fait allusion à « certains commentateurs sceptiques, isolés mais bruyants, qui ont cru pouvoir prétendre que le secrétariat d'Etat aux droits des victimes était inutile… »
Les familles des victimes veulent également pouvoir exprimer leur opinion sur l’action du secrétariat d’Etat aux Droits des Victimes et plus largement sur l’attitude de la justice française vis-à-vis des victimes.

La débâcle judiciaire de Mourmelon

En octobre 2003, après une instruction interminable, les familles assistaient impuissantes à l’épilogue de cette débâcle judiciaire : le suicide de Pierre Chanal (alors qu’il était sous la responsabilité de l’administration judiciaire) entraînait l’extinction de l’action publique. Malgré les nombreuses requêtes, le ministre de la justice, Monsieur Perben, n’a toujours pas jugé utile de lancer une enquête sur l’ensemble de l’instruction.

Madame Guedj affirme :
« La justice n'a pas seulement pour fonction de déterminer des coupables. Elle est aussi une étape dans la nécessaire reconstruction de la victime. »

Dans l’affaire de Mourmelon, les familles concernées pensent unanimement que l’action de la justice a contribué, au contraire, à achever de les détruire : on a beaucoup entendu dire dans le cas des disparitions inexpliquées : « les familles ne pourront pas faire leur deuil ». C’est vrai, mais, avec le recul, ce sont désormais les défaillances de la justice et l’incapacité de celle-ci à reconnaître ses fautes ou même à mener une véritable investigation, qui sont les plus difficiles à supporter et qui entretiennent durablement la douleur des victimes ou de leurs familles.

Compassion ou mépris ?

Que Madame Guedj ne vienne donc pas nous parler de compassion comme acte d’accompagnement et de soulagement : la compassion médiatique du journal de 20 heures accentue la douleur et plus encore la colère, quand cette compassion masque une totale inaction du pouvoir politique pour les cas précis qui lui sont signalés.

Ne doit-on pas plutôt parler de mépris des familles des victimes quand un représentant du Secrétariat d’Etat aux Droits des Victimes leur écrit en juillet 2004 :
« Le décès de Pierre Chanal, survenu le 15 octobre 2003, a fait l’objet d’investigations approfondies qui ont établi qu’il s‘était donné volontairement la mort. Une enquête administrative complémentaire n’a pas mis en évidence de faute ou de défaillance dans la gestion du détenu par l’administration pénitentiaire. »

Mépris encore quand les victimes sont souvent les seules à être condamner. Les appelés disparus de Mourmelon sont toujours condamnés pour désertion. Un règlement absurde interdit de lever cette condamnation...

Rien ne change…

Madame Guedj met également en avant l’importante de la prévention. Ici aussi, attention aux effets d’annonce : sans nier son intérêt dans certains cas, l’éventuel dispositif d’alerte Amber ne pourra être activé que pour les disparitions avec témoin. Comme le fait remarquer à juste titre Alain Boulay, Président de l’APEV, les cas de disparitions avec témoins sont extrêmement rares.

A t-on oublié qu’un des principaux obstacles que rencontrent les familles des victimes est d’être pris au sérieux au moment du dépôt de plainte. Il a fallu plusieurs mois aux parents de Patrice Denis pour obtenir l’ouverture d’une information judiciaire : parce que leur fils était majeur, sa disparition n’était pas jugée inquiétante (20 ans après, c’est toujours vrai : le rapport de la mission « Fugues, enlèvements, disparitions de mineurs » remis en janvier 2004 à Monsieur Perben ne traite que du cas des disparitions de mineurs).

Il y a plus choquant : la rapport de la commission Magendie, intitulé « Célérité et qualité de la justice » (NDLR : Quel joli titre!) et publié en juin 2004, propose tout simplement de casser le thermomètre en « rendant plus difficile les dépôts de plainte avec constitution de partie civile » : moins de plaintes, moins de victimes…

Les futures victimes, comme les anciennes, apprécieront le renforcement du parcours du combattant !

L’impossible débat

En France, il n’est pas possible d’ouvrir un véritable débat sur les responsabilités concrètes dans les drames judiciaires et de sanctionner les magistrats fautifs. Les sanctions sont rarissimes et, comme dans l’affaire des disparues de l’Yonne, suscitent de telles levées de boucliers de la part du corps judiciaire, qu’elles sont souvent abandonnées. La Belgique a été capable, dans le cas de l’affaire Dutroux, de se poser les bonnes questions sur le fonctionnement de sa justice. Pourquoi n’est-ce pas possible en France ? Tout est-il donc parfait dans notre système judiciaire ?

Cas isolés ou dysfonctionnement généralisé : un contrôle citoyen indispensable

Le drame judiciaire de Mourmelon n’est pas un cas isolé. Tout est en place pour que d’autres désastres surviennent. Des cas récents le prouvent : il y a, par exemple, un risque réel de prescription dans le cas de l'assassinat de Fabienne Leroy, victime de Fourniret, alors que les faits sont établis. Malheureusement, la justice française continue à traiter les dossiers de victimes de tueurs en série comme des faits isolés. Ou encore, comment a-t-on pu libérer en juin dernier à Bordeaux un violeur récidiviste à la veille de son procès? Est-il normal que des décisions aussi lourdes ne relèvent que d'un seul magistrat, éventuellement incompétent, sans aucun contrôle de ses pairs? Que vont dire Madame Guedj et Monsieur Perben à la jeune infirmière d'Angoulême qui a, d’après les analyses ADN, été victime du même violeur dans le nuit du 28 au 29 août.

Plusieurs familles de victimes, avec le support de leurs avocats et de professionnels viennent de créer l’association « Victimes en série » dont un des objectifs est d’exercer un rôle de vigilance, de contrôle, d’exigence et de dénoncer les dysfonctionnements de la justice perçus par les victimes.

Les victimes qui se retrouvent ensemble dans cette association font le constat des limites de l'action isolée et de leur impuissance à faire pression au niveau politique. Cette association est un moyen de jouer ce rôle d’aiguillon plus efficacement.

Il est faux de dire, comme l’affirme Madame Guedj, que « les carences actuelles sont en partie la conséquence d'une agrégation des dispositifs successifs. La multiplication des initiatives, fussent-elles utiles et pertinentes, n'a jamais pu se substituer à une politique publique. » Au contraire, si le pouvoir politique ne remplit pas sa mission, nous avons plus que jamais besoin d’initiatives citoyennes pour obtenir que le mot « justice indépendante » ne reste pas synonyme de « magistrats irresponsables et dispensés de rendre des comptes ».

Au moment de l'ouverture du procès des disparues de l'Yonne, il faut souligner le rôle de premier plan joué par l'Association de défense des handicapés de l'Yonne (ADHY), notamment pour convaincre des familles de disparues de déposer une plainte avec constitution de partie civile. Sans cette ténacité, aucune suite judiciaire n'aurait probablement été donnée, malgré les éléments à charges obtenus dès 1984 par l'enquête du gendarme Christian Jambert. A cette époque, les jeunes victimes n'intéressent personne et surtout pas les services sociaux de la DDASS.

Moins de beaux discours et plus d’actions concrètes

Finalement, si on compare, d’une part, les grands discours et les effets d’annonce et, d’autre part, les actions effectives concernant les cas précis, il me semble qu’on reste loin du compte : la fameuse balance de la justice est sérieusement déséquilibrée. Les exemples que je cite doivent quitter la rubrique des faits divers et trouver un écho plus important, parce qu’ils mettent les grands discours à l’épreuve des faits.

En juillet 2004, Madame Guedj s’est préoccupée des « fausses victimes » avec la prétendue agression du RER. Fin septembre 2004, Monsieur Perben recevait les « faux coupables » du procès d’Outreau (sans pour autant reconnaître la faute lourde de l’Etat Français). Quand se préoccupera-t-on des vraies victimes, des victimes de la justice, pour lesquelles justice n’a pas été rendue.

Au-delà de l’agitation médiatique, quelle action concrète peut-on encore espérer ?

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www.disparusdemourmelon.org