Julien Bonnefoy : Ce livre est une plaidoirie post-mortem pour Pierre Chanal mais vous écrivez que dès le départ vous étiez persuadé que vous ne plaideriez jamais
ce dossier devant une cour d’assises.
André Buffard : Le premier jour où j’ai vu Pierre Chanal, il m’a dit : je suis convaincu que je suis condamné d’avance devant une cour d’assises parce que l’impact
médiatique sur cette affaire a été trop fort, l’opinion publique depuis des années est conditionnée, je suis présenté comme le seul coupable possible, les familles
des victimes sont convaincues de ma culpabilité.
Donc devant cette accumulation de partis pris contre moi, je n’ai aucune chance devant une juridiction et si je m’y
retrouve je me supprimerai. Il y avait chez Pierre Chanal à la fois une révolte et une sérénité qui m’ont toujours persuadé qu’il irait au bout de ce qu’il disait.
J.B. : Pierre Chanal a été renvoyé devant la cour d’assises pour trois disparitions mais vous avancez trois autres noms de suspects potentiels dans le livre.
Pourquoi en parler maintenant et qui sont-ils ?
A.B. : Ces personnages existent et ils sont bien présent dans le dossier. J’en ai parlé dans le cadre de l’instruction et aux médias mais ce discours là n’intéressait
personne, même pas les enquêteurs. A partir du moment où Chanal a fait figure de coupable idéal, les enquêteurs se sont focalisés sur lui et n’ont eu qu’une préoccupation :
faire cadrer les éléments du dossier avec sa culpabilité. Lorsque le capitaine Vaillant et Tarbes, les deux enquêteurs principaux sont désignés, ils vont mener une des
enquêtes les plus exceptionnelles de la justice française, ils vont entendre des milliers de gens, faire des investigations tous azimuts et au terme, ils vont dire :
pour nous ces disparitions sont d’origine criminelle, ont vraisemblablement un auteur commun et le premier suspect c’est Jean-Claude Barrière.
Le portrait robot qu’ils
font correspond trait pour trait à Jean-Claude Barrière et le procès verbal de synthèse explique qu’il agresse des auto-stoppeurs, qu’il est homosexuel, violent,
dangereux, souvent armé. Ils le surveillent, il rompt les filatures comme le plus habile des criminels. Il va même aller, lors d’une conversation avec Vaillant,
jusqu’à dire : si c’est moi qui ai fait cela, il faut que j’envisage de me faire soigner. C’est une piste très forte qui va être complètement abandonnée à partir
du moment où il y a Chanal. On va alors dire que Barrière est un petit bonhomme rondouillard, pas dangereux et qu’on ne le voit pas du tout avoir commis ces faits
là alors qu’on a écrit le contraire au terme de l’enquête.
Et puis il y a Peiry, c’est un serial-killer suisse, arrêté pour avoir commis un certain nombre de meurtres sur des auto-stoppeurs. C’est le chasseur, il va
carrément dire qu’il est intéressé par un certain type d’auto-stoppeurs (qui correspond à ceux de Mourmelon). Il a configuré sa voiture pour pouvoir bloquer
les portières dès que quelqu’un est entré et il va avouer que sa satisfaction, c’est de les terroriser, d’abuser d’eux, de les violer, de les tuer et de les
faire disparaître. Il va reconnaître un certain nombre de crimes, expliquer qu’il n’hésite pas à faire des centaines de kilomètres s’il le faut et que pendant
cette période des années 80, il a traversé cette région de la Champagne. C’est un suspect potentiel intéressant. Il sera entendu par les enquêteurs, il va
reconnaître des crimes mais dire qu’il n’en a jamais commis en France. J’ai aussi demandé que l’on récupère ce dossier auprès de la justice suisse, on n’a pas
voulu le faire, j’ai essayé de le récupérer moi-même, on me l’a refusé. En revanche, je me suis « débrouillé » : j’ai lu le dossier et j’ai découvert qu’à une
période correspondant à certains faits il était en France. Il reconnaissait même avoir commis des meurtres, avant de se rétracter. Cette piste également n’a
plus intéressé personne du moment où l’on avait Chanal.
Enfin, la troisième personne qui est mise en cause par les enquêteurs de Scotland Yard, c’est Christopher Barror. Lorsque la dernière victime, Trevor O’Keefe,
un auto-stoppeur irlandais, est retrouvé étranglé dans l’Aisne, le juge d’instruction lance une commission rogatoire internationale confiée à Scotland Yard.
L’enquête nous apprend qu’à l’époque où O’Keefe vient en France pour travailler comme barman, il a un ami qui s’appelle Christopher Barror. Leurs liens sont
un peu ambigus, on ne sait pas très bien s’il s’agit d’amitié ou d’autre chose. Barror va mal vivre qu’il vienne en France, il va se renseigner auprès des autres
proches de Trevor O’Keefe pour savoir pourquoi il est parti et précisément où il séjourne.
Il va se rendre en France pour le suivre –on ne comprend pas très bien
pour quelle raison- mais lorsqu’il arrive , O’Keefe vient juste de repartir car il parle seulement anglais, il ne s’est pas adapté. O’Keefe se fait déposer sur une
route nationale et Barror arrive deux ou trois heures après. Il apprend que son ami est parti et demande qu’on le laisse au même endroit, sur la même route.
Logiquement, il devait rentrer en Angleterre mais il va en fait disparaître pendant trois semaines. Il ne donnera aucune explication sur son emploi du temps
pendant ce temps là. Quand il rentrera en Angleterre, le corps de O’Keefe a été découvert et identifié, et on s’aperçoit que sa mère et sa sœur l’interrogeront
pour savoir s’il a quelque chose à voir avec la mort. C’est quand même étonnant, ce n’est pas une réaction normale… et il dira qu’il n’a rien à voir. Donc Barror,
c’est une piste intéressante à suivre, d’autant que lorsqu’on l’interroge, il sait que O’Keefe a une corde à sauter dans son sac, c’est troublant quand on sait que
la victime a été étranglée. Il fait donc figure de suspect pour Scotland Yard, la commission rogatoire est renvoyée en France mais bizarrement, elle s’égare !
Dix ans plus tard, on estimera que ce n’est pas nécessaire de rouvrir cette enquête.
J.B. : Que sont devenues ces trois personnes ?
A.B. : J’ai toujours espéré et le livre en est peut-être l’occasion que le dossier rebondisse sur des gens par exemple comme Barror. Pour Peiry, il purge une peine
à perpétuité en Suisse. Quant à Jean-Claude Barrière, après ces faits là pour lesquels il a été soupçonné, il a eu d’autres problèmes avec la justice, en particulier
d’autres histoires à connotation sexuelle. Il s’en est bien sorti, il a bénéficié d’un non lieu dans une affaire d’agression sexuelle et à cette époque, il était
défendu par un des avocats des parties civiles dans le dossier des disparus de Mourmelon…
J.B. : Quand on entend cela, on se dit que vous aviez des arguments à faire valoir devant la cour d’assises, pourquoi n’êtes vous pas arrivé à convaincre votre
client de se présenter à la barre, ce qu’il a toujours refusé avant de se suicider ?
A.B. : C’est un drame effectivement pour un avocat de ne pas avoir réussi à convaincre son client de se défendre et de tenter d’obtenir gain de cause. Ceci
étant, même si ces arguments sont forts, auraient-ils véritablement pesé face à la pression ? La conviction de Chanal depuis le début, c’était que la pression
médiatique était telle que dans l’inconscient collectif il était le coupable. Et qu’à partir de là on pouvait argumenter à l’infini, cela ne pèserait rien par
rapport à cette pression. On n’a jamais parlé de Barrière, de Barror ou de Peiry parce que c’était trop compliqué de partir sur d’autres pistes et cela risquait
d’affaiblir cette hypothèse séduisante des enquêteurs sur la culpabilité de Chanal.
J.B. : Comment pouvez-vous croire encore à la justice après avoir écrit tout cela ?
A.B. : Je crois en la justice et j’y croirai jusqu’à mon dernier souffle ! je pense que la justice est une affaire d’hommes. Les gens ont tendance à sacraliser
la justice en se disant c’est l’héritage de siècles de tradition à la fois judéo-chrétienne et monarchique, c’est quelque chose de droit divin qui tombe du ciel.
Pas du tout. La justice, c’est quelque chose d’humain, fait par des hommes et des femmes ni pires ni meilleurs que les autres. Il y a des gens qui font bien leur
boulot, d’autres mal, certains sont compétents, d’autres non, certains sont honnêtes, d’autres malhonnêtes.
Et puis il y en a qui pensent détenir la vérité, et
d’autres, plus humbles qui pensent que la vérité se recherche pas à pas, chaque jour, avec beaucoup de modestie. Le drame de la justice, c’est lorsqu’on est en
présence de gens qui ont des idées préconçues, qui ont des convictions avant même d’investiguer ou de juger. C’est la base des erreurs judiciaires et cette
affaire est exemplaire pour cela. Toutes les erreurs judiciaires apparaissent quand des gens se disent : c’est probablement lui, on va travailler sur
l’hypothèse que c’est lui. On va alors éliminer toutes les autres pistes avec une seule idée en tête : faire cadrer comme un puzzle , même si les pièces
ne rentrent pas très bien, on va appuyer un petit peu pour que cela fonctionne…
J.B. : L’autre critique qui transpire à toutes les pages, c’est celle des médias, et là on se dit que vous abusez parce que vous avez toujours dit que
l’aura médiatique d’un dossier était un de vos paramètres de choix ?
A.B. : Aucun fait aujourd’hui ne peut passer inaperçu, c’est très bien, on peut investiguer et tout et sur n’importe qui. Mais le pendant de cette nécessité de
la liberté d’information, c’est qu’il ne faut pas aboutir à une dictature et à un système dans lequel les médias préjugeraient de quelqu’un. Dans toutes les
affaires médiatisées, qu’on le veuille ou non, les médias vont désigner à l’opinion publique le coupable. C’est une question sur laquelle je passe par tous les états,
il faut, je crois arriver à un système où l’information sur l’instruction soit délivrée au moins de façon contradictoire.
J.B. : Qu’est-ce que vous espérez après la parution de ce livre pour l’affaire dite « Chanal » ?
A.B. : Pour Pierre Chanal, dans toutes les hypothèses, c’est fini. J’espère montrer les dangers du système actuel, montrer que même un homme qu’on a présenté
de façon évidente comme le coupable n’est peut-être pas aussi coupable que cela. J’ai voulu aussi rendre à Pierre Chanal cette humanité qu’on lui a déniée car
à partir du moment où on est accusé de faits comme ceux-là, on n’existe plus, on est écrasé, la personnalité de Chanal n’intéressait plus personne. Pour moi
c’est une souffrance qu’il n’ait pas voulu venir, je me suis battu jusqu’au bout.
Si ceux qui l’accusait sans état d’âme l’avaient vu ou entendu, cela aurait
ébranlé certaines certitudes. Ce sont ces certitudes que j’essaie d’ébranler avec ce livre.
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Le livre d'André Buffard est un travail classique d'un avocat de la défense avec des oublis
volontaires d'éléments à charge et des raccourcis destinés à semer le doute !
Les avocats des parties civiles savaient de longue date qu'André Buffard voulait exploiter ces pistes à l'audience.
Il les avait déjà développées lors du débat devant la chambre de l'instruction lorsqu'il soutenait le non-lieu général.
Les vérifications effectuées par Gérard Chemla et Vincent Durtette sur ces 3 "suspects potentiels" ont montré qu'aucun élément sérieux ne pouvait les
impliquer. Mieux BARRIERE et PEIRY disposaient d'alibis pour nombre de disparitions.
Pour le cas BARROR, qui ne concerne que le dossier O'KEEFFE, aucun élément à charge ne peut être évoqué si ce n'est la perte de la Commission Rogatoire Internationale (CRI)
par le juge MARIEN qui séme le doute sur le fonctionnement judiciaire et non la culpabilité de BARROR...
A partir des éléments recueillis au fur et à mesure de l'enquête mais aussi de l'avis des experts "psy", les enquêteurs ont conclu que toutes les disparitions avaient un lien entre
elles. Il ont fait avant l'heure du "profilage".
A partir de ce raisonnement il suffisait de vérifier l'emploi du temps des trois personnes mises en cause par l'avocat de Pierre CHANAL... Comme pour
une ou plusieurs disparitions, il a été établi avec certitude qu'ils étaient dans l'impossibilité de commettre un crime , alors les investigations devaient cesser.
Quand André Buffard évoque un "acharnement" sur son client, que devrait dire J. C. BARRIERRE, qui a été entendu, placé en garde à vue, à de
multiples reprises .. Les pièces du dossier peuvent en témoigner.
Enfin, en ce qui concerne les propos de J.C. BARRIERE lors de sa garde à vue, ils sont réels. Cependant, par expérience, on sait que lors des
gardes à vue, des personnes lasses, finissent par reconnaître peu ou prou leur participation.
Concernant les analyses d'ADN, le livre d'André Buffard passe sous silence de nombreux éléments qui renforcent la valeur de ces éléments à charge : le fait
que la manière dont ont été effectués les prélèvements ne remet pas en cause les résultats obtenus, la probabilité d'erreur qui, en 2003 au moment du procès,
avait été réduite d'un rapport 100 par rapport à la date des expertises, avec les mêmes résultats.
Les familles des victimes, quand à elles, ne feront plus jamais confiance à la justice : les faits divers rapportés régulièrement dans les journaux montrent qu'aucun enseignement n'a été tiré de
cette affaire. Malgré la condamnation de l'état pour faute lourde, le ministre de la justice, Dominique Perben, ne juge pas utile de lancer une enquête. Est-ce l'attitude d'un homme politique responsable ?
Au sujet du rôle des médias, personne ne nie l'importance du quatrième pouvoir. Il a permis de faire exister l'enquête et l'instruction... Pierre Chanal et ses avocats ont su l'utiliser.
Si les familles des victimes ont harcelé quelqu'un, c'est uniquement la justice pour qu'elle daigne faire son travail ! Elles voulaient seulement savoir ce qui était arrivé à leurs enfants...
En pratique, le seul point sur lequel les familles des victimes sont d'accord avec l'avocat de Pierre Chanal, c'est que la justice française a mal fait son travail.
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