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Le Temps (Suisse) - 03/07/2004 - Antoine Menusier
La France entière doit se révolter
Le procès d'Outreau s'est achevé vendredi, à 2 heures du matin, par un verdict jetant la consternation. Démarche tout à fait inhabituelle, le
ministre français de la Justice a annoncé des mesures pour éviter la répétition de ce fiasco judiciaire.
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De sa voix de nulle part, le président Jean-Claude Monier, robe rouge doublée d'hermine, distribue les peines comme un instituteur remettrait les
notes. «Dominique Wiel, la cour vous condamne à 7 ans de prison.» Un râle aigu retentit. Ce cri, c'est celui de Marie-Pierre, parente de l'abbé, qui
croyait tant à l'acquittement de son frère. Marie-Pierre Wiel fait un malaise, manque de tomber. Deux membres de sa famille la soutiennent. «Sept
ans! Sept ans!» répète-t-elle, hagarde. Sa sœur Monique: «Ils le savent qu'ils condamnent des innocents. On est en France, la France entière doit se
révolter!» Marie-Pierre, qui a repris un peu de vigueur: «J'aimerais bien que ça arrive aux jurés.» Contre le prêtre ouvrier Dominique Wiel, l'avocat
général avait requis 4 ans ferme, pour trois viols sur enfants. Le magistrat représentant le ministère public, avait qualifié ces faits de «furtifs».
Les neuf membres du jury ont été plus sévères.
Quatorze heures. C'est le temps qu'il aura fallu aux jurés et à la cour pour délibérer et débrouiller cette affaire d'Outreau. Aux abords du Palais de
justice, dans les cafés et aux terrasses, la bière ruisselle. Un avocat, exténué par neuf semaines d'audience, s'autorise une vodka. Un autre,
carrément ivre, déblatère des propos égrillards. Les accusés, reclus dans la salle des pas perdus du tribunal, auraient sorti un jeu de cartes. «Vous,
vous croyez au Club Med?» aurait grondé un magistrat. Alors, pour patienter, ils auraient mis en scène leur propre situation, l'un parodiant le président
Monier, l'autre l'avocat général Lesigne.
Vers 2 heures du matin, tout redevient extrêmement sérieux. Le verdict, conforme aux réquisitions du ministère public, tombe: sept acquittements,
dix condamnations. Myriam Badaoui, la star déchue, écope de quinze ans au lieu des dix-huit requis; Thierry Delay, son mari, de vingt; Aurélie Grenon,
chanceuse, obtient quatre ans; son compagnon, David Delplanque, non moins chanceux, s'en sort avec six. Ces quatre-là avaient admis leur culpabilité.
Ce n'était pas le cas des six autres, qui juraient leur innocence et qui trébuchent pour viols, agressions sexuelles ou corruption: Dominique Wiel
(sept ans), Franck Lavier (six ans), Thierry Dausque (quatre ans dont un avec sursis), Daniel Legrand fils (trois ans dont un avec sursis), Sandrine
Legrand (trois ans avec sursis), Alain Marécaux (dix-huit mois avec sursis).
Roselyne Normand, la boulangère innocentée, n'exulte pas: «C'est la fin d'un cauchemar, dit-elle, mais, pour moi, le sentiment de justice n'existera plus
jamais. Nous sommes 13 innocents.» La réaction du ministre de la Justice, Dominique Perben, au verdict encore chaud, est pour le moins inhabituelle.
«Ce qui s'est passé dans ce procès ne doit plus arriver», a-t-il déclaré vendredi matin (lire complément).
Costaud comme un catcheur, fier comme le peuple tenant tête aux riches: tel est Jean-François Dausque, l'oncle de Thierry. «La justice n'a pas rendu la
justice, lance-t-il à la face de tous. L'argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue. Un petit, ça restera toujours un petit.» Ressentiment de
classe ici, aigreur malheureuse là. «Quinze ans qu'elle se prend, Badaoui, la bougnoule», maugrée la mère de Franck Lavier, qui estime que ce n'est pas
cher payé. Franck, que le jury et la cour ont reconnu coupable de viol sur la petite Aurore Beaumont, la fille de sa compagne. Il avait, «une fois»,
senti Aurore entre les cuisses, pour vérifier, expliquait-il, qu'elle avait correctement fait sa toilette.
Sans mot dire, l'huissier de justice Alain Marécaux, tel un petit vieux, quitte le Palais de justice au bras de sa sœur. Son défenseur, Me Hubert
Delarue, craint qu'il ne se suicide. «Il a déjà fait quatre tentatives, et pas pour rire», prévient l'avocat. Odile, l'épouse d'Alain, qui
comparaissait également sur le banc des accusés, a été acquittée. La cour a déclaré l'huissier coupable d'attouchements sur son fils François-Xavier.
Alain Marécaux semble au bout du rouleau. Hospitalisé durant sa détention préventive suite à une grève de la faim, il était alité au côté d'un
prisonnier célèbre, l'adjudant Pierre Chanal, condamné à la prison à vie pour l'assassinat et le viol de cinq jeunes gens. Il s'est ouvert les veines
en prison, il en est mort. « Avant que Pierre Chanal ne mette fin à ses jours il s'était confessé à moi, et moi, je lui avais dit mes secrets », confiait
Alain Marécaux deux jours avant le verdict de Saint-Omer. « Je ne répéterai jamais ce qu'il m'a révélé. »
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