Plusieurs éditorialistes commentent jeudi 16 octobre 2003 le suicide de l'ancien adjudant Pierre Chanal au jour de l'ouverture de son procès
LE PROGRES, Jean-Philippe Mestre
En préférant la justice divine à celle des hommes, Pierre Chanal n'a peut-être pas fait le meilleur pari. Car s'il ne sera jamais condamné,
il n'a plus aucune chance d'être blanchi. Il ne laissera de lui que ce regard inquiétant qui pour l'opinion, semblera toujours instruire son procès. Crime de faciès ou tête de l'emploi ?
L'historien, et d'abord le journaliste, restent devant un défi insoluble à la présomption d'innocence.
Elle n'a jamais paru aussi aléatoire, pour ne pas dire aussi
formelle. Et même la question posée par ce suicide annoncé et pourtant pas empêché, lui demeurera indissolublement liée. Comme celle de la négligence de près
d'un quart de siècle de deux institutions, l'armée et la justice, qui ont plus songé à se protéger elles-mêmes qu'à protéger les victimes et leurs familles.
Car, protestation désespérée ou refus paranoïaque d'affronter sa propre monstruosité, en se dérobant à ses responsabilités, Pierre Chanal n'a pas effacé les crimes.
Le plus insoutenable, dans cette histoire atroce, serait que l'ombre de l'adjudant soit la seule à veiller sur les sépultures à jamais perdues des jeunes disparus.
Et qu'aucun deuil ne puisse honorer leur innocence.
LE COURRIER PICARD, Jean-François Montémont
Monstre sadique ou simple militaire culturiste, adepte des sports de plein air ? Pierre Chanal n'aura pas réussi à dissiper le doute après
sa fuite devant la
justice des vivants. Quelle justice justement car c'est bien son procès que l'on peut faire après l'issue calamiteuse d'une série de tâtonnements, d'instructions
bâclées qui depuis 1988 alimentent la suspicion quant au sérieux du travail effectué par les divers acteurs de cette affaire en tous points exceptionnelle.
Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, tous, parents des victimes comme ceux du meurtrier présumé, accusent la justice ne pas avoir fait son travail,
de ne pas avoir pu mener à bien un procès qui aurait dû être juste et serein tant les années avaient passé.
Ce que l'on ne peut comprendre c'est pourquoi il a
fallu attendre tant et tant de temps et faire subir tant et tant d'épreuves à ceux et celles qui ont perdu un proche dans ce que l'on a considéré comme l'une des
plus atroces équipées sauvages de la fin des années quatre-vingt. (...) Ceux qui sont persuadés que son geste équivaut à un aveu devraient se poser au moins deux
questions : 1. Y a-t-il un ou plusieurs coupables ? 2. La justice peut-elle se tromper ?
LA LIBERTE DE L'EST, Gérard Noël
Au-delà du sort de l'accusé, ce procès était aussi celui des dysfonctionnements multiples de l'armée, de la police et de la justice qui,
à un moment ou un autre, ont chacune connu des failles. La première, fidèle à son rôle de « grande muette », aura adopté de longues années la version des
« désertions » : tellement plus simple ! La seconde a piétiné avant d'entrevoir un rapport entre les disparitions. La troisième a fait preuve de désinvolture.
L'honneur a été sauvé par deux hommes : le gendarme Tarbes et le juge Chapart (le septième magistrat à être chargé de l'instruction de ce dossier !)
Sans leur ténacité qui a permis une relance de la procédure sur la foi d'analyses ADN, jamais l'adjudant-chef n'eût été inquiété et l'affaire eût été reléguée
dans le gouffre sans fond des énigmes judiciaires. Pour autant, ce travail d'archéologue des deux enquêteurs, s'il a permis d'impliquer Chanal dans trois cas,
restera lettre morte. Un bien triste épilogue pour un drame qui laisse les proches des victimes désemparées.
PARIS-NORMANDIE, Gilles Dauxerre
En se suicidant, Pierre Chanal s'est définitivement échappé, privant les familles des victimes de la vérité et les empêchant ainsi de faire
véritablement leur deuil. Etait-il coupable ? Que sont devenus les jeunes militaires disparus ? Pourquoi l'instruction a-t-elle été aussi longue ? Pourquoi
n'a-t-on pas pu empêcher l'ex-adjudant de se tuer ? Autant de questions qui resteront sans réponse, mais qui jettent une lumière crue sur une faillite de nos
institutions judiciaires, et militaires. (...)
Pierre Chanal avait pourtant toujours dit qu'il se tuerait, plutôt que de comparaître pour des faits qu'il niait.
Les précautions prises n'ont pas été suffisantes pour l'en empêcher. Fuite devant une responsabilité écrasante et inavouable, ou bien désespoir de ne pas pouvoir
faire reconnaître son innocence ? Les défenseurs de Pierre Chanal et ceux des familles des victimes ont chacuns leur interprétation. Un faisceau de présomptions
désigne l'ex-adjudant, mais sans aveux ni procès il reste suspendu au doute. Ce doute qui ne bénéficie à personne, ni aux accusateurs, ni à l'accusé.
Ce doute
terrible qui pèse pour toujours sur les familles des victimes. Ce doute poisseux qui colle à l'institution judiciaire.
L'INDEPENDANT DU MIDI, Bernard Revel
L'affaire des disparus de Mourmelon aura été d'un bout à l'autre un cauchemar. Pour les familles des victimes se heurtant pendant des
années au silence de l'armée, aux enquêtes bâclées, à l'incompétence de magistrats, le suicide plusieurs fois annoncé de Pierre Chanal sonne comme un coup de grâce.
Le procès n'aura pas lieu. La vérité ne sera jamais dite.
C'est un fiasco. Après l'armée et la justice, c'est le système pénitentiaire qui, cette fois, est pris
en défaut. L'homme qui a juré de se tuer, qui est au centre d'un dispositif policier « lourd », qui doit être, en principe, l'objet de fouilles très minutieuses,
réussit à se retrouver dans sa chambre sécurisée du CHU de Reims en possession de deux lames de rasoir. Il se fait des garrots aux jambes et s'ouvre
l'artère fémorale sans attirer l'attention des trois policiers censés l'observer derrière une glace sans tain. Pierre Chanal est parti avec son secret,
laissant les familles des victimes désemparées.
Par cet épilogue et tous les dysfonctionnements qui l'ont marquée depuis 23 ans, l'affaire des disparus de Mourmelon
restera comme une tache indélébile dans les annales de l'Etat de droit.
L'UNION, Hervé Chabaud
Une bérésina judiciaire pitoyable ! Jusqu'au bout Pierre Chanal aura été le maître du jeu, défiant la justice de la République dans
un chantage au suicide jusqu'à utiliser cette arme fatale pour ne jamais avoir à se justifier dans le box ni à croiser le regard des familles des victimes.
(...)
Cette situation est d'autant plus incompréhensible que Chanal avait prévenu de son attitude à venir s'il était renvoyé devant une cour d'assises et que
chacun dans le dossier connaissait son profil de commando au mental d'acier et les enseignements qu'il avait reçus pour tromper l'ennemi.
(...)
L'affaire des disparus de Mourmelon restera en droit une énigme et c'est une terrible désillusion pour des familles d'honnêtes gens en attente de vérité,
qui, hier matin, ont été condamnées à la souffrance à perpétuité. (...) Il ne leur restera que la photo d'un fils ou d'un frère, des souvenirs et leurs yeux pour
pleurer l'un des leurs privé de sépulture.
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