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SECTION 2 - La discipline et la
responsabilité des magistrats
Toute action disciplinaire est
individuelle par définition. Elle s’insère pourtant dans ce qui doit
être une politique disciplinaire. Celle-ci implique : -
une appréciation précise de la situation en cause, acquise en temps
utile ; - une connaissance suffisante, par tous, de la
jurisprudence disciplinaire ; - une vision claire de la
déontologie judiciaire, reposant sur une réflexion permanente. La
réussite - c’est-à-dire l’acceptation par tous - d’une
telle politique en dépend. Si nécessaire qu’elle soit, toute
action disciplinaire est aussi, en un sens, la conséquence d’un
double échec : celui du magistrat sanctionné et celui de
l’action de prévention qui aurait pu souvent, engagée à temps,
éviter la répression disciplinaire. Dans cette action, les chefs de
cour et de juridiction sont, par leurs fonctions, en première ligne.
Leur devoir de vigilance et de précaution doit être souligné. Le
moyen privilégié de cette action de prévention est une réflexion
portant, au-delà de la dimension disciplinaire proprement dite, sur
la responsabilité du magistrat. L’extension des domaines
d’intervention de la justice et l’importance corrélative de ses
décisions conduisent nécessairement à une réflexion attentive sur la
responsabilité des magistrats et les moyens de la mise en œuvre de
celle-ci. Deux raisons conduisent le Conseil supérieur de la
magistrature à mentionner cette question dans son
rapport : En premier lieu, sa mission
constitutionnelle : la responsabilité des magistrats est liée à
l’indépendance de l’autorité judiciaire. " Le Président de la
République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Il
est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature. "
L’augmentation des pouvoirs et des domaines d’intervention de
l’autorité judiciaire accroît encore la nécessité d’une réflexion
sur cette responsabilité. En second lieu, un débat public s’est
instauré à ce sujet. Le Conseil supérieur de la magistrature ne
saurait en être absent.
Deux points méritent enfin d’être
soulignés : • Le premier se rapporte à l’influence
d’un texte : la Convention européenne des droits de
l’homme. L’influence de cette Convention et notamment de son
article 6, déjà cité, mérite une mention particulière. En
effet, trois des notions contenues dans cet article - celles de
délai raisonnable, de tribunal indépendant et impartial, et de
procès équitable - se rapportent à la responsabilité des
magistrats dans l’exercice de leur activité juridictionnelle, au
sens large du terme. Elles ont donné lieu à une jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme dont l’influence sur la
jurisprudence, voire la législation nationale est de plus en plus
notable. Ainsi le dépassement du délai raisonnable a été
assimilé, dans certains cas, au déni de justice, entraînant la
responsabilité de l’Etat au titre de l’article L. 781-1 du code
de l’organisation judiciaire (cf. infra, p. 114). La
notion d’impartialité fait à juste titre l’objet d’une attention
accrue, à la lumière, notamment de récents arrêts de la Cour de
cassation (cf. Cass. ass. plén. 6 novembre 1998 ; D.
1999, 1, concl. J.-F. Burgelin ; JCP 1998, II. 10198, rapport
P. Sargos ; Cass. ass. Plén. 5 février 1999 (2
arrêts), Les Annonces de la Seine, supplément au n°12,
15 février 1999, p. 2 ; Les Petites Affiches,
15 février 1999). Le Conseil supérieur de la magistrature
a fait un usage exigeant de cette notion. D’abord en l’appliquant à
lui-même lorsque saisi d’une demande d’avis par le garde des sceaux,
ministre de la justice, il s’est fondé sur cette exigence
d’impartialité soit pour refuser d’émettre un avis dans une
procédure autre que disciplinaire (cf. CSM, siège, avis du
11 septembre 1996. Il s’agissait d’une procédure suivie
devant la Cour de discipline budgétaire et financière) , soit pour
limiter la portée de son avis, en raison de l’éventualité de
poursuites dont il pourrait être saisi (cf. CSM, formation plénière,
avis du 27 mai 1998). La notion de procès équitable
s’applique non seulement à l’activité juridictionnelle mais
aussi aux actes qui l’entourent (cf. CSM, siège,
2 juillet 1992) .
• Le second a trait au rapport
entre la responsabilité des magistrats et leur droit à la
protection. Un équilibre satisfaisant doit être assuré entre,
d’une part, les exigences de la nécessaire sécurité juridique et
judiciaire et, d’autre part, celles d’un bon fonctionnement du
service public de la justice. En vertu des dispositions de
l’article 11 du statut de la magistrature :
"Indépendamment des règles fixées par le code pénal et les lois
spéciales, les magistrats sont protégés contre les menaces, attaques
de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent être l’objet dans
l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. L’Etat
doit réparer le préjudice direct qui en résulte, dans tous les cas
prévus par la législation sur les pensions ". Il incombe
naturellement au garde des sceaux mais aussi aux chefs de cour et de
juridiction d’apprécier, dans chaque cas, l’opportunité de la
protection et le choix des moyens propres à l’assurer de manière
effective. C’est en tenant compte de l’ensemble de ces éléments
qu’ont été rédigés les développements qui suivent. Un examen des
systèmes de responsabilité relatifs au service public de la justice
(A) précédera l’exposé des orientations d’une réforme (B).
A - LES SYSTEMES DE RESPONSABILITE
RELATIFS AU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE
On examinera successivement la
responsabilité de l’Etat (1) et celle des magistrats (2).
1) La responsabilité de l’Etat du
fait du fonctionnement défectueux du service de la justice
a) Les dispositions en
vigueur Les régimes spéciaux Cas de responsabilité pour
faute : la tutelle. L’Etat est seul responsable à
l’égard du pupille du dommage résultant d’une faute quelconque
commise dans le fonctionnement de la tutelle par le juge des
tutelles, son greffier ou l’administrateur public chargé d’une
tutelle vacante. Cette action est portée devant le tribunal de
grande instance (art. 473 du code civil). Cas de
responsabilité sans faute : • La révision Le
condamné reconnu innocent après révision de la condamnation
(art. 622 et suivants du code de procédure pénale) a droit à
une indemnité à raison du préjudice que lui a causé sa condamnation,
sauf si la non-représentation de la pièce nouvelle ou la
non-révélation de l’élément inconnu en temps utile lui est
imputable. Toute personne justifiant du préjudice que lui a causé
la condamnation peut également demander une indemnité dans les mêmes
conditions. L’indemnité est à la charge de l’Etat. Elle est allouée
soit par la chambre criminelle de la Cour de cassation statuant
comme cour de révision, soit par la commission mentionnée à
l’article 149-1 du code de procédure pénale (art. 626 de
ce code). • La détention provisoire Une indemnité peut
être accordée à toute personne ayant fait l’objet d’une détention
provisoire suivie d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement
si cette détention lui a causé un préjudice. La décision est
prise par une commission nationale composée de magistrats du siège
de la Cour de cassation (articles 149 et 149-1 du code de
procédure pénale). La loi du 30 décembre 1996 a
supprimé la condition relative au caractère manifestement anormal et
d’une particulière gravité du préjudice. • Une
responsabilité sans faute a été instituée par la jurisprudence
administrative. C’est ainsi que certaines mesures mises en œuvre
tant au titre de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à
l’enfance délinquante par le juge des enfants, qu’en milieu
pénitentiaire (permissions de sortir, semi-liberté, libération
conditionnelle) sont susceptibles de créer, pour les tiers, un
risque spécial de dommages. Lorsqu’un tel dommage existe, et qu’il
possède un lien de cause à effet avec la décision prise, eu égard
aux circonstances de lieu et de temps, il y a lieu à indemnisation.
(Une jurisprudence analogue existe en matière de responsabilité
hospitalière, s’agissant des personnes hospitalisées pour des
raisons psychiatriques.) Le fondement est ici la rupture de
l’égalité devant les charges publiques. Le régime général de
l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire Aux
termes du premier alinéa de cet article, " l’Etat est tenu de
réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service
de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute
lourde ou un déni de justice ". L’évolution de la
jurisprudence relative à l’application de cette disposition fait
ressortir les éléments suivants : - la rigueur initiale du
texte a été tempérée par une interprétation assez libérale des
notions de faute lourde et de déni de justice ; - la faute
lourde n’est pas seulement " celle qui a été commise sous
l’influence d’une erreur tellement grossière qu’un magistrat
normalement soucieux de ses devoirs n’y eût pas été entraîné (cf.
Cass. 1e civ., 3 octobre 1953, Bull.
no 224)". S’y ajoutent les " méconnaissances
graves et inexcusables des devoirs essentiels du juge dans
l’exercice de ses fonctions (cf. Cas. civ. 1e ,
10 mars 1995) ". La faute lourde peut également consister
dans un " comportement anormalement déficient du juge (cf. Cour
d’appel de Paris, 6 septembre 1996, Mme Lebrun c. Agent
judiciaire du Trésor)". Constitue une faute lourde, par exemple, la
divulgation à la presse, par des membres du personnel du service de
la justice, de documents permettant d’identifier les personnes mises
en cause à l’occasion d’une enquête (cf. Tribunal de grande instance
de Paris, 3 avril 1996, Bonnet, Guinchard et Noir c/
Trésor public ; cass. 1e civ.
9 mars 1999, Malaurie c. Agent judiciaire du Trésor
public, JCP 1999. II. 10.06.69, rapport Sargos). Un délibéré d’un an
devant une cour d’appel a ainsi été jugé constitutif d’une faute
lourde (cf. Tribunal de grande instance de Paris,
9 juin 1999, Quilichini). Le déni de justice en l’état
actuel de la jurisprudence, inclut notamment " le cas où le
juge refuse de répondre aux requêtes ou ne procède à aucune
diligence pour instruire ou faire juger les affaires en temps utile
(cf. Cour d’appel de Paris, 6 septembre 1994). Le tribunal
de grande instance de Paris a jugé à plusieurs reprises qu’il faut
entendre par déni de justice, susceptible d’engager la
responsabilité de l’Etat en application de l’article L. 781-1
du code de l’organisation judiciaire, non seulement le refus de
répondre aux requêtes ou le fait de négliger de juger les affaires
en état de l’être, " mais aussi, plus largement, tout
manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de
l’individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir
statuer sur ses prétentions dans un délai
raisonnable ". Dans une affaire, la faute lourde a été
conjuguée avec le déni de justice (cf. Cour d’appel de Paris,
6 septembre 1996, Salvodelli c. Agent judiciaire du
Trésor). Selon la jurisprudence, l’article L. 781-1 du COJ
ne s’applique qu’aux usagers du service de la justice, non à ses
collaborateurs (cf. Cass. 1re civ., Guilhaume
c. Agent judiciaire du Trésor, Bull.
no 374 ; D. 1988.578, note Moussa). Les
collaborateurs ont droit, même en l’absence de faute, à la
réparation intégrale du préjudice subi dès lors qu’il est anormal,
spécial et d’une certaine gravité (cf. Cass. 1re civ.,
30 janvier 1996, II-22608, rapport Sargos ; D.
1997.83, note Legrand, pour un mandataire judiciaire, et tribunal de
grande instance de Limoges, 3 novembre 1994, CRAMA de la
Haute-Vienne c. Trésor public, pour un collaborateur
occasionnel). Il a été jugé par deux cours d’appel que le
fondement de la responsabilité de l’Etat peut résider dans une
décision juridictionnelle, même si elle est revêtue de l’autorité de
la chose jugée (cf. Cour d’appel d’Aix-en-Provence,
15 septembre 1986, Consorts Saint-Aubin ; cour
d’appel de Paris, 21 juin 1989, mêmes demandeurs).
A ce jour, la Cour de cassation n’a pas encore statué sur ce
point. A titre de comparaison, on rappellera le régime de la
responsabilité de l’Etat du fait de l’exercice de la fonction
juridictionnelle par une juridiction administrative : selon la
jurisprudence du Conseil d’Etat (cf. 29 décembre 1978,
Darmont, p. 542), cette responsabilité est subordonnée aux deux
conditions suivantes : - une faute lourde est
exigée ; - si la faute alléguée résulte du contenu même
d’une décision juridictionnelle, et si celle-ci est devenue
définitive, l’autorité qui s’attache à la chose jugée s’oppose à la
mise en jeu de cette responsabilité. Dans ce domaine aussi,
l’influence de la Convention européenne des droits de l’homme, et
notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme sur la règle du délai raisonnable est patente. Dans un arrêt
rendu en 1991, cette Cour a rejeté l’exception tirée par le
gouvernement français de l’absence d’épuisement des voies de recours
nationales, ou motif qu’il n’avait pu être démontré que les
juridictions françaises interprétaient la notion de faute lourde de
manière à y inclure le dépassement du délai raisonnable mentionné
par l’article 6-1 de la Convention (cf. Vernillo c. France,
20 février 1991). Il reste à voir si l’assouplissement
précité de la jurisprudence conduira la Cour à modifier son
appréciation.
b) L’élargissement des conditions
d’application de l’article L. 781-1 du code de l’organisation
judiciaire Les évolutions récentes du droit de la
responsabilité de l’Etat peuvent conduire à substituer l’exigence
d’une faute simple à celle d’une faute lourde. Plusieurs raisons
justifieraient un tel changement : - l’exigence d’une faute
lourde est liée traditionnellement aux difficultés particulières
d’exécution d’un service public. Admettant pour la première fois
que, d’une manière générale, l’Etat était tenu de réparer le dommage
causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice, la
loi du 5 juillet 1972 a posé l’exigence d’une faute
lourde. Une telle exigence ne se justifie plus aujourd’hui : il
n’est plus possible d’affirmer que, d’une façon générale,
l’exécution du service de la justice présente des difficultés
particulières au point d’exiger une faute lourde. Le débat sur la
mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat dans ce domaine se pose
en des termes nouveaux ; - l’exigence d’une faute lourde est
en net recul dans le droit général de la responsabilité de la
puissance publique ; - à l’absence justifiée d’action
directe de la victime contre le magistrat auteur d’une faute
personnelle (cf. infra) doit correspondre un
élargissement des conditions de la mise en cause de la
responsabilité de l’Etat. Un avant-projet de loi communiqué au
Conseil supérieur de la magistrature en décembre 1999 prévoit la
modification du premier alinéa de l’article L. 781-1 du code de
l’organisation judiciaire et le remplacement de la faute lourde par
la faute simple. Une telle réforme ne peut qu’être approuvée.
2) Les différents régimes de
responsabilité personnelle des magistrats
Les magistrats sont soumis aujourd’hui
à quatre régimes de responsabilité distincts, dont deux présentent
des spécificités qui doivent être soulignées : il s’agit des
responsabilités hiérarchique et civile. Les deux autres, en matière
pénale et disciplinaire, qui seront examinés en second lieu,
n’appellent pas, à ce niveau du présent rapport, de commentaires
détaillés.
a) Le contrôle
hiérarchique Indépendants dans leurs fonctions
juridictionnelles, ou, pour les membres du parquet, dans leurs
réquisitions orales, les magistrats n’en appartiennent pas moins à
une hiérarchie qui évalue et, dans certaines limites, contrôle leur
action.
• La portée de
l’évaluation Les articles 18 et suivants du décret
du 7 janvier 1993 prévoient une évaluation de l’activité
professionnelle des magistrats. Dans un corps qui ne connaît de
promotions qu’au choix, l’évaluation constitue l’élément
d’appréciation presque exclusif dont disposent, d’une part, la
commission d’avancement pour décider de l’inscription des magistrats
aux listes d’aptitude et tableaux d’avancement et d’autre part, le
CSM et la Chancellerie pour proposer les nominations. L’avis des
chefs de cour, autorités investies du pouvoir d’évaluer, mais aussi
celui des chefs de juridiction présente ainsi une grande importance
pour le déroulement de la carrière des magistrats puisqu’ils sont
pris en considération d’abord lors de la vérification de l’aptitude
au passage au 1er grade (pour l’inscription au tableau
d’avancement) et ensuite lors de la nomination effective en
avancement, en moyenne deux ans plus tard. Les magistrats
judiciaires ne bénéficient pas en effet d’une carrière linéaire qui
leur permette d’accéder aux échelles-lettres de la fonction publique
ou à des fonctions d’encadrement par le seul jeu de l’ancienneté.
Cette dernière constitue seulement, comme cela a été rappelé plus
haut, l’un des critères retenus pour les nominations, aussi bien par
le Conseil que par la direction des services judiciaires : elle
n’est décisive que pour les mutations, sans avancement ni changement
fonctionnel. Or, l’évaluation des magistrats, dans sa forme
actuelle, permet de porter une appréciation complète sur les
différents aspects de leur activité : depuis 1993, la grille
analytique, où sont répertoriés 28 critères correspondant aux
qualités exigées des magistrats, comporte une échelle de notation
sur six degrés allant d’exceptionnel à insuffisant. Les
appréciations littérales sont elles mêmes détaillées en quatre
catégories distinctes : - aptitudes professionnelles
générales ; - aptitudes professionnelles juridiques et
techniques ; - aptitudes à l’organisation et à
l’animation ; - engagement professionnel. En plus de la
proposition du chef de juridiction, supérieur hiérarchique direct
avec lequel se déroule l’entretien préalable, la plupart des
magistrats des tribunaux sont évalués au vu des observations écrites
recueillies auprès des membres de la cour d’appel ou des
vice-présidents du tribunal, responsables de formation collégiale
(art. 20 du décret no 93-21 du
7 janvier 1993). Ainsi, pour le juge d’instruction, sont
transmis au premier président les avis écrits des présidents de la
cour d’assises, de la chambre d’accusation et de la chambre des
appels correctionnels (art. 20,
al. 2-2o). La multiplicité des critères
d’appréciation des aptitudes, la diversité des avis préalables à
l’évaluation, la position hiérarchique des autorités qui en sont
chargées comme la faculté offerte aux magistrats d’y concourir grâce
au caractère contradictoire de la procédure, confèrent une réelle
efficacité à ce mode d’appréciation de l’activité des magistrats.
Ceci vaut aussi bien pour les missions juridictionnelles que pour
les tâches d’administration et d’animation, naturellement plus
faciles à appréhender pour les chefs de cour ; il apparaît
néanmoins que ces derniers n’hésitent pas à faire ressortir les
erreurs répétées d’appréciation des magistrats tout en prenant garde
de ne pas critiquer des décisions particulières, ce qui serait
directement contraire au principe d’indépendance fonctionnelle des
magistrats du siège. L’utilité de l’évaluation est d’ailleurs
particulièrement marquée lorsqu’il s’agit de sanctionner un
comportement professionnel médiocre ou critiquable, mais ne relevant
pas de la procédure disciplinaire. Ainsi, selon l’expérience des
membres du Conseil, la très bonne qualité de l’immense majorité des
dossiers de magistrats tout au long de leur carrière donne, par
contraste, un relief singulier aux quelques appréciations
défavorables, dont le retentissement tend à se trouver majoré dans
l’opinion des autorités de nomination. C’est dire que
l’évaluation, devenue plus complète, précise et contradictoire,
constitue aujourd’hui un outil efficace pour permettre aux
magistrats de mieux apprécier leurs responsabilités.
• Le pouvoir
d’affectation dévolu aux chefs de juridiction Le code de
l’organisation judiciaire donne aux chefs de juridiction la mission
d’affecter les magistrats au sein de chacun des services de leur
juridiction. Ces mesures d’administration, qui ne sont pas
susceptibles de recours, constituent une prérogative importante pour
les chefs de juridiction qui se voient confier la mission d’affecter
les magistrats selon la nature des services. Il appartient aux
chefs de juridiction de remplir cette mission de manière impartiale
en tenant compte des compétences professionnelles des magistrats et
des nécessités du service public. Le développement du contrôle
hiérarchique direct Depuis une décennie au moins, la part
relative de l’activité administrative des magistrats s’est accrue, à
mesure que s’amélioraient les techniques de gestion au sein du
ministère de la justice, en phase avec le mouvement de modernisation
de l’Etat. Les magistrats du siège se trouvent donc aujourd’hui,
d’une manière plus sensible que naguère, insérés dans une hiérarchie
administrative où, comme tous les agents publics, ils doivent rendre
compte et exécuter les instructions reçues de la Chancellerie et des
cours d’appel. Non seulement les responsables des tribunaux de
grande instance et d’instance, mais encore les chefs de service,
vice-présidents ou magistrats délégués sont soumis aux obligations
administratives usuelles. A titre d’exemples significatifs des
domaines récemment ouverts au contrôle hiérarchique direct, on
citera l’accès au droit, la limitation des frais de justice, l’achat
public ou la participation des juridictions aux politiques publiques
interministérielles. Parallèlement, la mise en œuvre d’un outil
statistique plus performant (tableaux de bord), permet aussi aux
cours d’appel et à la Chancellerie de disposer en temps réel des
moyens de contrôle affinés sur l’organisation et la productivité des
tribunaux. De leur côté, les magistrats du parquet sont soumis à
leur hiérarchie pour l’ensemble de leurs missions, en vertu des
dispositions statutaires ou procédurales.
b) La responsabilité
civile Les principes sont fixés en cette matière par
l’article 11-1 de l’ordonnance statutaire, résultant d’une loi
organique du 18 janvier 1979. Ce texte dispose d’abord
que les magistrats du corps judiciaire ne sont responsables que de
leurs fautes personnelles. La faute personnelle s’entend d’abord
de celle commise en dehors de l’exercice des fonctions mais aussi,
selon la jurisprudence dégagée pour les agents publics, de la faute
intentionnelle (dont l’auteur est animé par l’intention de nuire ou
l’intérêt personnel) ou de la faute lourde, d’une gravité extrême,
même commise dans l’exercice des fonctions. Les victimes de
telles fautes personnelles des magistrats professionnels se
rattachant au service public de la justice disposent d’un recours
direct contre l’Etat, prévu à l’article L. 781-1 et 3 du Code
de l’organisation judiciaire (cf. "L’Etat garantit les victimes des
dommages causés par les fautes personnelles des juges et autres
magistrats, sauf sur recours contre ces derniers "). Ce recours
est exclusif de toute action dirigée contre le magistrat fautif,
laquelle n’appartient qu’à l’Etat, selon l’art. 11-1 précité
(alinéas 2 et 3) : " La responsabilité des
magistrats qui ont commis une faute personnelle se rattachant au
service public de la justice ne peut être engagée que sur l’action
récursoire de l’Etat. " Cette action récursoire est exercée
devant une chambre civile de la Cour de cassation. " Malgré
l’intérêt que pourrait représenter la garantie de l’Etat, les
demandes en indemnisation pour fautes personnelles de magistrats se
rattachant au service public demeurent tout à fait exceptionnelles.
L’action récursoire de l’Etat semble elle-même n’avoir jamais été
mise en œuvre. A titre de comparaison, on résumera ici les
dispositions applicables à la fonction publique : - l’agent
public auteur d’une faute de service est personnellement
irresponsable. Une telle faute engage la seule responsabilité de
l’administration. La victime ne peut demander réparation qu’à la
personne publique (l’agent peut, indépendamment, faire l’objet de
poursuites disciplinaires ou pénales) ; - lorsqu’il s’agit
d’une faute personnelle, la jurisprudence tend à distinguer trois
types de fautes : (1) celles qui, commises dans l’exercice
des fonctions, révèlent un " comportement personnalisé "
de l’agent caractérisé par la malveillance, l’intérêt privé ou des
voies de fait ; (2) celles qui, commises en dehors de
l’exercice des fonctions, ne sont pas dépourvues de tout lien avec
elles ; (3) les fautes purement personnelles, détachables
du service ; - les droits des victimes. Les victimes
d’une faute personnelle des premier et second types peuvent
poursuivre soit la personne publique devant les juridictions
administratives, soit l’agent devant les juridictions judiciaires.
Seules les conséquences des fautes personnelles du troisième type
restent à la charge exclusive de l’agent. Plusieurs lois imposent
à la victime de poursuivre exclusivement la personne publique. Tel
est le cas de la loi du 5 avril 1937 relative à la
responsabilité des membres de l’enseignement et celle du
31 décembre 1957 relative aux dommages causés par les
véhicules. Cette action est portée, en vertu de ces lois, devant les
tribunaux judiciaires. La loi organique du
18 janvier 1979 (art. 11-1 du statut de la magistrature)
se rattache à ce type de loi. La personne publique possède une
action récursoire contre l’agent si elle a indemnisé les
conséquences d’une faute personnelle des premier et second types.
c) La responsabilité
disciplinaire Cette question a été abordée dans le
chapitre II du présent rapport. L’augmentation du nombre des
saisines depuis une dizaine d’années démontre une évolution sensible
dans ce domaine. A cet égard, les tableaux suivants sont
significatifs.
DATE |
TOTAL |
SIÈGE |
PARQUET
|
1970 |
4 |
4 |
0 |
1971 |
1 |
1 |
0 |
1972 |
4 |
4 |
0 |
1973 |
2 |
1 |
1 |
1974 |
2 |
1 |
1 |
1975 |
3 |
2 |
1 |
1976 |
1 |
0 |
1 |
1977 |
3 |
3 |
0 |
1978 |
1 |
0 |
1 |
1979 |
1 |
1 |
0 |
1980 |
2 |
1 |
1 |
1981 |
1 |
1 |
0 |
1982 |
2 |
0 |
2 |
1983 |
1 |
1 |
0 |
1984 |
0 |
0 |
0 |
1985 |
0 |
0 |
0 |
1986 |
4 |
4 |
0 |
1987 |
2 |
0 |
2 |
1988 |
1 |
1 |
0 |
1989 |
0 |
0 |
0 |
1990 |
2 |
2 |
0 |
1991 |
4 |
2 |
2 |
1992 |
6 |
5 |
1 |
1993 |
8 |
5 |
3 |
1994 |
10 |
6 |
4 |
1995 |
12 |
7 |
5 |
1996 |
6 |
5 |
1 |
1997 |
6 |
2 |
4 |
1998 |
6 |
4 |
2 |
1999 |
9 |
5 |
4 |
Avis et décisions émis par les
organes disciplinaires
d) La responsabilité
pénale Les magistrats répondent des infractions pénales
commises dans l’exercice de leurs fonctions ou en dehors. A
l’instar des autres décideurs publics, les magistrats sont exposés à
ce qu’on appelle aujourd’hui le " risque pénal " au titre
des infractions involontaires (en particulier homicides et blessures
par imprudence). C’est même, du fait de la multiplicité de sites
judiciaires (181 tribunaux de grande instance et 473 tribunaux
d’instance), une importante proportion de magistrats qui assument,
comme chefs d’établissements de dimensions très variables, des
responsabilités directes en matière de sécurité, d’hygiène et
d’organisation du travail. En outre et contrairement à une idée
largement répandue, tout délit imputable à un magistrat dans le
cadre de la vie privée, même sans aucune incidence sur son activité
professionnelle, peut être constitutif d’une faute
disciplinaire ; dans un passé récent, des sanctions
significatives, tel le déplacement d’office, ont pu être prononcées
à ce titre. Enfin, il convient d’ajouter que la responsabilité
des magistrats peut, le cas échéant, être mise en cause devant la
Cour des comptes et la Cour de discipline budgétaire et financière.
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